- mielpops
- Localisation : Midi-Pyrénées
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Date d'inscription : 12/09/2014
Irina, mon amour (Roman en cours d'écriture)
Lun 17 Nov - 14:55
Après "Nuit d'orages", "Sex Palace", "Nuit agitée", "Massage coquin", "Matin coquin", "Une nuit en Espagne", "Mélodie érotique pour un quatuor", "La prophétie du futur", "Louise ou la vraie vie", "Retour de flammes", "Sacrée journée", "La rencontre", "L'Océan est si beau vu d'en haut", "Où es-tu mon amour?" voici un début de récit que j'ai nommé "Irina, mon amour", pour le moment.. Peut-être que le titre changera d'ici là, mais je n'ai pas été très inspirée. J'espère que ça vous plaira.
Le soleil tente d' imposer sa majesté sur une nature saturée d'eau et renforcer la chaleur inhabituelle d'un mois de juin. Les gros nuages noirs et menaçants n'ont pas l'intention de céder, bataillant pour en éteindre les ardeurs et peindre le ciel de leur couleur ténébreuse. Les rues sont bondées. Mais les passants, tête basse et regard fixe, déambulent, feignant de s'intéresser aux innombrables échalas qui courent le long de la rue marchande. A chaque commerçant sa stratégie pour attirer le client, certaines employées allant le chercher à même le trottoir. Je m'interroge souvent sur leurs attributions professionnelles : vendeuses ou péripatéticiennes ? Mais personne ne cède, et continue sa route jusqu'à une destination connue d'eux seuls, probablement à l'abri si l'on en juge par la couleur inquiétante que prend le ciel.
Peu importe où ils se rendent, ce qu'ils ont en tête, je m'en fous royalement, plongée dans mes pensées, à des années lumières de leurs préoccupations et les regarde passer sans vraiment les voir. Qu'est-ce-que je fous ici, à ressasser mes idées noires, à me laisser envahir pas des souvenirs dont je ne veux plus , alors que je cherche à égayer ma journée aussi grise que les murs qui m'entourent, à chasser les cauchemars qui hantent mes nuits ? Même l'ordinateur qui me tient compagnie quand j'attends mes clients, ne suffit pas à rompre mon ennui et encore moins à balayer les réminiscences sombres qui noient mon esprit. Je sais que cela n'est pas une bonne idée car c'est par ce biais qu'une grande partie de la toile de ma vie s'est tissée pour finalement m'y noyer. Ma main caresse la souris, un doigt hésitant suspendu et légèrement tremblant attend l'ordre de cliquer sur un lien en favoris que je n'ai jamais eu le courage de supprimer.
On ne peut pas dire que ma vie soit une source d'épanouissement extrême. Le bonheur, je le touchais du doigt, je venais à peine de l'embrasser lorsqu'un chauffard ivre me l'a volé. Elle s'appelait Irina et je l'avais rencontrée sur cette page du net avant d'aller la retrouver à l'occasion de mes innombrables voyages à Moscou où elle m'attendait. Les mois passant, nous nous sommes liées, rencontrées et aimées jusqu'à ce que la faucheuse décide de briser le bonheur que nous nous étions promis. Quant à moi, ma vie est restée en suspension pendant de nombreuses semaines, dépendante de l'incessant goutte à goutte des perfusions reliées à mon corps réduit en miettes dans le choc de l'accident et forçant mon coeur à continuer de battre, anéanti à l'annonce de sa disparition. Malgré le travail remarquable des chirurgiens et autres plasticiens, je garde néanmoins quelques traces du traumatisme que trahit un claudiquement du membre inférieur gauche.
Un jour de plus sans Elle, sans son sourire ravageur aux fossettes craquantes, ses yeux d'un bleu plus profond que l'abysse où je me noyais volontiers, son doux parfum de vanille dont je m'enivrais, son accent que je tentais en vain de reproduire, ce qui avait le don de la faire rire aux éclats. Dieu que j'aimais son rire, ses yeux pétillants et emplis de malice, sa façon de poser sa main sur sa bouche pulpeuse pour en cacher les éclats de rire très particuliers dans un lieu public, sa façon de se tordre sur sa chaise . Et moi, systématiquement, je lui retirais sa main pour admirer son joli visage en liesse. Elle résistait quelques secondes avant, de s'apercevoir, vaincue, qu'il était trop tard pour se cacher, son rire ayant contaminé tout notre entourage. Avec elle, les journées étaient des petits bouts de bonheur que nous aimions savourer et dont nous ne perdions pas une miette. Chaque petit moment passé avec elle était un ravissement, une étoile de plus que nous accrochions au firmament de notre félicité.
Comme les bons souvenirs entraînent systématiquement les mauvais dans leur sillage, le plus terrifiant de tous, celui là même qui hante mes jours et mes nuits depuis sept ans maintenant, explose violemment dans mon esprit, faisant rouler des perles d'eau salée sur mes joues rougies par la tristesse et le désarroi. Je pensais avoir pleuré toutes les larmes de mon corps mais il semble que le malheur puise dans un réservoir sans fond alors que celui du bonheur s'est depuis longtemps asséché. Mes mains tremblent, cherchant à essuyer le flot à présent incessant qui inonde mon visage. Je dois me ressaisir, des clients entrent dans le restaurant que j'avais acheté pour nous. Irina était tombé amoureuse de cet endroit au moment même où nous y avions posé les pieds. J'avais alors rassemblé toutes mes économies pour nous l'offrir mais elle n'eût guère le temps d'en jouir, la mort ayant anéanti notre bonheur trois mois après notre acquisition.
« Bonjour Monsieur, Dame
- bonjour, on peut encore déjeuner ? Je sais qu'il est très tard mais on vient juste d'arriver ma femme et moi.
- Normalement, on ne sert plus du tout à cette heure ci, mais vous laisseriez-vous tenter par une assiette anglaise ? Réponds-je, me laissant convaincre que leur arrivée balaiera mon chagrin.
- Parfait. C'est exactement ce qu'il nous faut avec un temps pareil.
- Je crois bien qu'on aura de l'orage d'ici ce soir. Je sais que pour vous, ca n'est pas ce qu'il y a de mieux, mais ça ferait un bien fou. Cette chaleur est juste suffocante. »
Et, accompagnant mes clients tardifs à leur table, je fais signe à Lola, la serveuse de garde, de filer en cuisine pour préparer les assiettes anglaises. J'ai du mal à freiner ma peine et c'est avec des trémolos dans la voix que je m'adresse à eux :
« Là, vous serez bien.
- Oui, en effet, quel calme ! C'est toujours ainsi ?
- Non, vous arrivez après le rush du déjeuner. Nous préparons la mise en place pour ce soir.
- Vous êtes ouverts à l'année ?
- Oui. On est dans un coin privilégié ! La montagne pour le ski et les thermes pour les curistes. Sans compter les innombrables possibilités d'évasion qu'offre cet endroit : spéléologie, canyoning, rafting, parapente, randonnée.. bref, les activités ne manquent pas ! Ah oui, j'oubliais la pêche ! Cherche-je à plaisanter.
- Quel type de poisson on a ici ?
-Sandre, truite saumonée, carpe, truite arc en ciel...
- C'est tout à fait ce qu'on nous avait laissé entendre. La pêche est ma passion. On va être bien ici.
Puis sans transition, la femme m'interroge, ses yeux dans les miens :
« Que mettez-vous dans votre assiette anglaise ?
- Jambon cru et blanc, rosette, saucisson, beurre, cornichons, mayonnaise mais nous y mettons aussi du poulet froid, de la salade et quelques crudités. Ah oui, et du fromage. Cela vous convient-il ?
- Parfait !!
- Vous désirez boire un apéritif ?
- Non merci. Il est déjà tard et je doute qu'avec cette chaleur nous le supportions, enfin, moi du moins et toi mon ange ?
- Non, je préfère un verre de bon vin et un grand pichet d'eau.
- Très bien ; Voici la carte des vins. Je vous laisse choisir, le temps de voir où en est la préparation de vos assiettes et je reviens prendre commande. »
L'une des premières règles à respecter en restauration est de ne jamais laisser des clients sur la touche comme je viens de le faire et de les accompagner dans leur choix, à fortiori quand la salle est vide. Mais un nouvel assaut de désarroi me submerge à nouveau et je file à l'office à enjambées rapides. Je n'ai nullement besoin d'aller contrôler le travail de Lola qui connaît son métier sur le bout des ongles mais juste une envie urgente de m'isoler quelques instants pour laisser s'écouler le flot de larmes qui inonde à nouveau mes joues, reprendre mes esprits et calmer les battements à tout rompre de mon coeur.
Cette ville regorge de brasseries et restaurants en tout genre, pourquoi ces deux là ont-ils choisi le mien ? Je devrais me réjouir d'avoir attiré de nouveaux clients dans mon établissement dont la renommée n'est plus à faire mais il n'en est rien. Est-ce mon humeur du jour ou mon esprit qui se liguent à me jouer un sale tour ou est-ce tout simplement la réalité ?
Mes larmes ont stoppé leur course folle, mes joues enfin séchées ont repris une apparence quasi normale. Je penche la tête et aperçois le couple discuter tranquillement à l'autre bout de la salle. J'ai l'impression qu'une éternité s'est écoulée avant de pouvoir à nouveau me présenter à eux de façon correcte. Je déteste devoir affronter les regards interrogateurs face à un visage tourmenté et c'est avec un sourire que je veux le plus naturel du monde que j'arrive à leur table, évitant savamment de croiser le regard de la femme.
« Désolée, je n'ai pas été trop longue ?
- Non non, pas du tout répond la femme.
- Excusez-moi encore.
- Mais il n'y a pas de quoi ! Renchérit-elle. Ca ne fait même pas cinq minutes que vous nous avez laissés.
- Avez-vous fait votre choix ?
- Je prendrais un rosé bien frais. Mais je n'arrive pas à me décider. Que me conseillez-vous ?
- Personnellement, j'ai un petit faible pour le Chinon, domaine de Noiré. Son équilibre en bouche en fait un vin généreux idéal pour un jour comme aujourd'hui.
- Je prends ! Opte l'homme. Et toi chérie ? Tu es décidée ?
- Je me laisse tenter. Je vous fais confiance, me dit-elle en souriant. »
Mon cœur s'emballe à nouveau alors qu'elle me répond et me sourit. Puis je sens un nœud gigantesque qui prend forme au creux de mon ventre. « Tiens bon me dis-je, ça n'est pas le moment de craquer . Garde tes larmes pour plus tard et souris ». Mon sourire doit ressembler à un rictus affreux. Je me suis jurée de ne pas la regarder mais mes yeux ne peuvent se détacher de cette femme absolument superbe, au visage merveilleux et à la plastique parfaite... Ce visage que je ne connais que trop bien provoque dans mon cœur un second ras de marée, une tempête intérieure d'une violence extrême que j'ai du mal à réprimer.
A cet instant, Lola, la serveuse, une femme assez forte au type méditérannéen arrive à la table et dépose les assiettes anglaises avant de repartir aussi discrètement qu'elle est venue, non sans me jeter un regard compatissant. Sa présence me permet de reprendre mon souffle et de rebondir avec des trémolos dans la voix que j'ai du mal à contenir.
« Bon appétit Monsieur Dame !
- Mazette, il y en a pour un régiment ! S'exclame l'homme en ouvrant grand ses yeux comme des billes.
- Jamais je ne pourrai avaler tout ça ! Renchérit sa compagne
- Bien sûr que si !. Et ça passera encore mieux avec le petit Chinon que je vous apporte dans la foulée. »
De mes mains fébriles, je sers dans deux grands verres le précieux nectar qui, je le pensais, m'aurait aidé à noyer mon chagrin après la disparition de Irina, mais rien n'en fût. Ce que je peux retenir de mon incursion dans cet enfer, est que quelle que soit leur nature les soucis savent très bien nager...
Les éclats rosés, aidés par les timides rayons du soleil qui transpercent la baie vitrée, donnent au vin un éclat particulier, divinisant la couleur de sa robe déjà exceptionnelle. Mes deux clients se saisissent de leur verre et admirent sans un mot le précieux liquide avant d'en absorber leur première goulée avec délectation.
La clarté anormale pour un début d'après-midi me pousse à regarder par la baie vitrée. Je vois alors les derniers rayons de soleil perdre leur combat face à la noirceur du ciel.
« Mmmmm, vous avez raison, ce vin est juste divin ! S'exclame l'homme, me faisant presque sursauter.
- Il est juste comme je l'aime s'exclame le sosie d'Irina.
- C'est également mon préféré, j'avoue que c'est un peu pour ça que je vous l'ai conseillé, mais je savais que vous ne seriez pas déçus.
- Ca fait du bien après tous ces kilomètres.
- Vous arrivez d'où ?
- Bretagne. Il pleuvait à torrent quand nous sommes partis ce matin à 4h.
- Je crains que vous n'essuyiez à nouveau les caprices de la météo ici.
- Vous pensez qu'il va pleuvoir ? Interroge la femme
- Les orages sont annoncés en tout cas. Voyez par vous même dehors.. Pas terrible pour un début de vacances !
- Ah mais nous ne venons pas pour les vacances !
- Ah non ?
- On vient s'installer ici !
- Ah bon ?
- Oui, dit tranquillement la femme. Ca fait des années qu'on veut quitter l'endroit mais nous n'en avions pas l'opportunité.
- Oui ! Continue gaiement son mari. Il nous fallait du soleil, revendre notre pharmacie et en trouver une dans le sud. Voilà qui est fait !
- C'est vous qui reprenez la pharmacie Bellance alors !
- Exactement ! Yves et Elsa Voldoyres, ravi de vous connaître.
- Caroline Morreau, moi de même. Me force-je à sourire.
- Nous allons être amenés à nous voir souvent, en effet. Et vous, ça fait longtemps que vous êtes ici ?
- J'ai acheté cette affaire il y a sept ans.
- Les affaires ? Ca marche ?
- Je n'ai pas à me plaindre. J'ai de la concurrence mais ça n'empêche pas les clients d'affluer. On est assez nombreux mais il faut dire que je suis bien placée et mes prix sont attractifs.
- En effet. Votre établissement attire le regard. Il est bien agencé. Et surtout, vous avez un parking, on se casse pas la tête à trouver une place.
- Merci. J'aime que mes clients se sentent ici comme chez eux. Ca n'est pas bien grand mais on s'y sent bien. Et oui, le parking est un gros avantage. Dis-je en souriant. Il y a aussi une tonnelle terrasse où j'ai installé des jeux pour les gosses. Quand les repas perdurent pour les banquets, ils ont de quoi se défouler sans embêter le bon déroulement du service et les parents sont tranquilles. Ils ne peuvent pas sortir, le seul accès direct est la salle du restaurant. Allez, je file et vous laisse manger tranquillement. A plus tard et n'hésitez pas si vous avez besoin de quoi que ce soit. On est là, Lola et moi.
- Merci, c'est gentil. A plus tard »
Un couple bien sympathique, je l'avoue. La cinquantaine, peut-être moins. Lui, un port altier, on ne peut que le remarquer car il est bel homme. Elle... Elle semble être plus jeune que lui et n'a pas le même timbre de voix que Irina. Il est plus rocailleux, plus sensuel que ma belle moscovite.
Cette escapade à l'office m'apporte une bouffée d'air frais et remet de l'ordre dans mes émotions.
« Ca va Caroline ? Me demande Lola en voyant mon visage.
- Oui merci, ça va.
- C'est dingue comme elle lui ressemble.
- C'est saisissant, en effet. J'en ai perdu tous mes moyens.
- Non, je trouve que tu t'en es bien sortie.
- Est-ce que je pouvais prévoir un truc pareil ? Tout vient de remonter à la surface tout d'un coup. Le temps a adouci ma peine mais n'a pas effacé les souvenirs. Et là, ça arrive par vagues successives. J'en ai marre d'être torturée par ces visions de cauchemar, marre de la voir morte dans mes bras... Et cette femme qui se pointe ici !!
- Arrête, tu veux ? Cesse de te torturer, vis dans le présent et regarde devant !
- Je n' y arrive pas ! Tu sais que j'en suis incapable ! Vois où ça nous a amenées toi et moi !!
- C'est moi qui ai échoué.
- Non, tu n'es pas responsable ; Je n'ai jamais accepté sa mort, c'est moi qui n'ai pas su écouter tes conseils et à aller de l'avant. Je suis restée murée dans un passé dont je ne veux plus mais dont je ne parviens pas à me défaire. C'est à moi de faire le travail..
- Et à celle que ton cœur aura choisi. Tu n'étais pas prête et je n'ai pas su le voir. Je me suis comportée comme une égoïste.
- Non, tu l'as fait par amour, tout simplement. Quoi qu'il en soit, notre relation a été un échec et je t'ai fais souffrir. Et ça je ne me le pardonnerai jamais.
- Tu n'as pas à t'en vouloir. Même si je savais dans quoi je m'embarquais, je n'ai pas voulu le voir et j'ai foncé bille en tête..
- Parce que tu m'aimais, c'est tout.
- Peut-être pas assez ou comme tu l'aurais voulu ou comme j'aurais du.
- Serai-je capable d'aimer encore ?
- J'en suis certaine ma belle. Et on ne peut que t'aimer. Tu dois juste le vouloir et surtout, y croire ma chérie.
- Crois tu que ça sera facile ? Cette femme me rappelle tout de Irina. Comment veux-tu que j'oublie ? Elle va vivre ici avec son mari, crois-tu que je vais y arriver avec elle à côté ?
- Tu n'as pas le choix. Il va te falloir prendre le taureau par les cornes une bonne fois pour toutes.
- Tu m'aideras ?
- Bien sûr ! Je veux que tu sois heureuse ma belle. Et je te pousserai au flanc jusqu'à ce que tu y parviennes.
- Tu sais, je regrette que nous deux, ça n'ait pas marché. T'es une nana formidable
- Ca ne devait pas se faire, c'est tout.
- J'ai 43 ans Lola, j'ai l'impression d'en avoir deux fois plus
- Alors, va falloir bouger tes fesses pour que ça change ma belle.
- Et trouver quelqu'un capable de supporter tout ça ou de me supporter tout court !
- Elle est là, quelque part et ça te tombera dessus sans que tu t'y attendes !
- J'en doute..
- Tu verras ce que je te dis ma chérie...
- On verra ! Tiens, remplis la salière de la 9 et rapporte la. Ah, et vois aussi le couple. Ils se sont jetés sur le pain. Il leur en faut peut-être.
- Ok, j'ai pigé, fin de la discussion.
- Fin de la discussion. Allez, go ma belle »
Je retourne sans transition à mes occupations dont le sempiternel contrôle de la caisse de midi – ces deux là passeront sur le compte de ce soir- et la fin de la mise en place du repas du soir. Dehors, le ciel devenant de plus en plus obscur, je me vois contrainte d'éclairer la salle où mes deux clients dégustent leur assiette dans un calme que le premier grondement de tonnerre vient troubler dans un vacarme fracassant, suivi rapidement de grosses bourrasques de vent qu'accompagne une pluie diluvienne. La femme pousse un grand cri de surprise, son mari continue de savourer son plat sans se soucier de l'inquiétude de son épouse, avant de terminer son verre de rosé cul sec et de me faire signe. Comprenant le message, je m'approche de la table du couple et remplis le verre de l'homme. Sa femme, le nez plongée dans son assiette a perdu son sourire et semble terrorisée. Elle l'est encore plus quand le vent fait soudainement claquer la porte du restaurant, suivi d'un éclair aveuglant.
« Ca ne durera pas longtemps, lui dis-je pour la rassurer.
- Elle est morte de trouille à chaque fois ! S'esclaffe son mari. Elles sursaute déjà au moindre pétard, alors pour l'orage, vous pensez..
- Bein c'est assez effrayant, je l'avoue mais..
- Quoi, vous avez peur vous aussi ?
- Non, du tout, j'adore ça !
- Vous devez comprendre que quand mon mari décide quelque chose, tout le monde doit penser comme lui... dit sa femme en demie teinte.
- Ah, ça, c'est bien les mecs ! Dis-je dans un large sourire ! Tous les mêmes ! Y'en a pas un pour remplacer l'autre ! rajoute-je dans le même ton.
- Et bien quoi, c'est vrai ! La femme a suivi l'homme à travers les âges, il en a toujours été ainsi ! Pourquoi cela changerait-il ?
- Et pourquoi vous asseoir sur une institution misogyne créée par des misogynes, dans le seul but d'avilir la femme? Cela vous arrange bien, avouez !!
- Je ne vous le fais pas dire ! Surenchérit sa femme. Non mais quel macho tu fais !! Et vous valez quoi sans les nanas hein ? Que dalle ! Ca se dit le sexe fort, ça me fait juste rire !! A part vos biscottos, je ne vois pas ce qui vous rend supérieurs aux femmes !
- Qui plus est, qui se tape les désagréments de chaque mois, la grossesse, l'accouchement ? Et qui se lève la nuit quand bébé braille ? Qui se tape le repas après une dure journée de labeur pendant que Monsieur lit son journal ou s'installe devant la télé avec une mousse ?!!
- Et qui a un pied dans la tombe dès l'apparition du moindre microbe ??
- Ok, ok, ok, Sourit l'homme, amusé... Mesdames, vous avez gagné, c'est bon ! Je rends les armes.
- Enfin ! S'écrie son épouse.
- Et bien voilà mon ange !! Tu as oublié l'orage, le toit ne s'est pas effondré, ton assiette ne s'est pas envolée, on est entiers !
- Certes mais tu sais que je ne suis jamais entièrement rassurée.. Ah bein tiens... voilà qu'il grêle à présent..
- Stop, ok ? Dis-toi que tu es à l'abri et que rien ne peut nous arriver.
- Je te crois…. »
L'homme prend délicatement la main de sa compagne, les yeux pleins de douceur et la porte à ses lèvres avant d'y déposer un doux baiser.
Je m'éclipse, sur la pointe des pieds et file en direction de l'office où m'attend la dernière pile d'assiettes pour achever ma mise en place et je l'avoue, pour échapper à cet épanchement amoureux qui me met mal à l'aise. Je n'ai pas la force de m'extasier devant leur bonheur qui m'enfonce d'avantage dans ma propre torpeur.
Une heure du matin. Les derniers clients viennent de passer la porte et s'empressent de rejoindre leur voiture garée dans le parking sous une pluie battante qui perdure depuis le début de l'après-midi. Je ferme soigneusement l'entrée de mon restaurant et pars, comme d'habitude éteindre les gros lustres avant de passer à l'office où j'enfile un tablier et commence ma besogne à la plonge pendant que Lola termine de débarrasser les tables avant de balayer, changer les nappes, les surnappes et de commencer la mise en place du lendemain. Seuls les cliquetis des couverts et les légers chocs des assiettes troublent le silence de la salle.
Ma jambe me fait mal ce soir. Elle est un baromètre infaillible qui m'indique que le mauvais temps s'est installé pour plusieurs jours encore. La fatigue et les émotions de la journée rendent la douleur presque insupportable. Je cesse un instant mon activité, le temps d'attraper un flacon de comprimés, un antalgique qui me suit partout depuis sept années mais que je mets un point d'honneur à éviter, ne voulant me rendre dépendante à ce type de drogue. Mais ce soir, je cède à la tentation, j'ai trop mal. Peut-être crois-je encore naïvement que la médication calmera quelques instants mon à l'âme.
Lola arrive de la salle quelques instants plus tard, passe derrière moi et s'empare de l'imposant ballot de nappes et de serviettes avant d'aller le déposer à l'endroit prévu à cet effet en attendant d'être emporté par la camionnette de la blanchisserie de la ville voisine. A ce propos, il faut que je leur téléphone demain à la première heure pour leur signifier mon mécontentement quant à leur dernière livraison dont la netteté d'une partie du contenu laissait quelque peu à désirer. J'estime que payer à prix d'or un forfait qui n'est pas respecté doit être fermement signalé et je ne vais pas m'en priver.
« Ca fait trois fois de rang qu'ils nous rendent notre linge dégueulasse. J'ai rien dit jusqu'à maintenant, mais demain, je leur dis ce que j'en pense.
- Tu aurais déjà du le faire, tues trop gentille.
- Je n'aime pas les situations conflictuelles. Et tu sais que je prends sur moi en tentant de trouver une explication plausible au problème. J'ai pensé à une erreur, ça peut arriver, non ?
- Certes, mais tu as enfin convenu que l'erreur se reproduisait trop souvent !
- C'est bon ! Je téléphone demain je t'ai dit !
- Au fait, j'ai aperçu le couple de ce midi à la pharmacie tout à l'heure en revenant de ma pause, enfin, plutôt entendu.
- Oui, et alors ?
- Il y avait un de ces raffuts !! J'ai eu l'impression qu'ils cassaient tout là-dedans.
- Ca ne me surprend pas ! La pharmacie était aussi vielle que les proprios. Elle a besoin d'un sacré relooking.
- Si c'est le cas, ça va prendre un temps fou cette histoire. Il va falloir aller chercher les médocs de l'autre coté de la ville pendant combien de temps encore ?
- Perso, ça me dérange pas. Tant que je ne les croise pas, tout va bien !
- Et s'ils viennent ici, tu vas faire quoi hein, petite maligne ?
- Tu t'occuperas d'eux, voilà tout !
- Bon sang ma chérie ! Tu as déjà oublié ce que je t'ai dit tout à l'heure !! Tu dois faire face ! Face à elle, à la réalité !
- Je n'aurai pas la force !
- Si tu l'auras ! Si tu le veux ! Tu ne dois plus baisser les bras et te battre !
- Je n'ai plus la force je te dis !
- Ho, elle est où la battante des débuts que j'ai connue ? Elle préfère jouer à l'autruche ? Allez, sors la tête de - ton trou et bouge !
- Plus facile à dire qu'à faire.
- Je sais ça. Tu es forte. Je sais que tu peux le faire et surtout ne me dis pas le contraire. Ca ne marche pas. Ne laisse plus les émotions prendre le dessus et ouvre ton cœur.
- On a vu ce que ça a donné pour nous deux.
- Et bien, recommence ! C'est sur l'échec qu'on avance. C'est toi qui me l'a appris.
- J'aurais mieux fait de la fermer.
- Mais oui, et grâce à qui je suis devenue ce que je suis aujourd'hui hein ? Et grâce à qui encore je suis là pour en parler ?
- Ca n'est pas pareil.
- Mais le principe est le même ! Vouloir et s'accrocher ! Tu veux en finir ou quoi ?
- Parfois, je me dis que ça serait la solution idéale mais je suis trop lâche pour le faire.
- Et tout ce que tu as fait pour arrêter en cours de route ? C'est quoi ce plan ? Non mais ça va pas la tête, faut te soigner !
- Un psy ? Pas question. Je te l'ai déjà dit.
- Mais bon sang, accepte de te faire aider pour aller mieux !
- A quoi bon ? Lui raconter ma vie pour que tout me tenaille encore plus ?
- Ca s'appelle extérioriser. Mieux comprendre sa souffrance pour mieux la maîtriser, la transformer, mieux l'appréhender. Guérir pour mieux recommencer, tourner la page et renaître ! Ce que je n'ai pas réussi moi...
- Tu es arrivée cinq ans après Irina. La douleur était encore très forte, je n'ai pu la surmonter et tu en as fait les frais. Je n'ai pas envie de refaire vivre ça à quelqu'un d'autre.
- Tu n'étais pas prête et moi, pas à la hauteur. Mais ce fut une belle aventure avec toi et s'il fallait recommencer, je le ferais , juste sans commettre les mêmes erreurs. Caro, tu es une chic fille. Tu as un cœur en or. Tu as droit à une autre chance. Tu as le droit d'être heureuse ! Il suffit de le vouloir. Irina n'est plus mais penses-tu qu'elle est heureuse de te voir ainsi ? Je ne pense pas que c'est ce qu'elle aurait voulu.
- Tu as vu le tableau ? Balafrée, boiteuse et en plus sale caractère.
- Et alors ? Irina t'a aimée, je t'ai aimée, pourquoi veux-tu que ça n'arrive plus ? Bon, ça suffit les idées noires,ok !
- Ok, je vais essayer, promis.
- Je préfère entendre ça. Pour commencer, tu passes à la pharmacie demain ramener son gilet à Mme Voldoyres.
- Ah non, pas ça !
- Chérie, tu viens de faire une promesse et tu m'as demandé de t'aider. C'est ce que je suis en train de faire et toi, tu dois tenir ta promesse !
- T'es chiante quand tu t'y mets tu sais !
- Oui, et c'est pas prêt de changer. Je t'ai dit que je te pousserai au flanc et je le ferai. »
2 -
J'entends des coups, quelqu'un se bat. Puis des cris stridents et des éclats de voix. Encore des coups. Curieuse, je m'avance dans la rue, quelque chose me pousse à le faire, comme si ma vie en dépendait. Il faut absolument que je sache d'où vient se vacarme. Des lumières ça et là dans les murs des immeubles se mettent à trouer les ténèbres de la nuit sans lune. Je déambule, avance, pressant le pas, me guidant aux sons de la rixe. J'avance dans le noir, longeant les murs, les cris se rapprochent mais je ne parviens toujours pas au but. La pluie ne cesse de tomber, le vent souffle en bourrasques qui manquent de me déstabiliser à chaque pas. J'avance, passe un coin de rue, mais ne trouve rien. Je m'arrête quelques secondes, reprenant mon souffle. Je suis trempée, la pluie et le vent giflent mon visage mais, déterminée et poussée par une force étrange, je reprends ma course folle contre les éléments. Un éclair zèbre le ciel et dans sa clarté, je réalise que je suis déjà passée par ici. « Je tourne en rond !!Bon sang, j'ai raté un truc ! » Je continue, aveuglée par la pluie qui a redoublé d'intensité. Les éclats de voix aussi. J'arrive presque à l'angle de la rue où je reconnais la cadillac rouge hors d'âge que j'ai aperçue lors de mon premier passage et aperçois une énorme faille dans le mur de l'immeuble. Je ne me souviens pas l'avoir vu tout à l'heure. Comment se fait-il que je ne l'ai pas remarquée auparavant ? Comment ce bâtiment ne s'est-il pas encore effondré avec un tel trou dans les fondations ? Enfin, comment se fait-il que l'on n'est pas évacué les habitants devant un tel danger ?? Tout me semble absurde mais cette absurdité ne m'effraie pas, au contraire, elle pique ma curiosité. Je m'engouffre alors dans le noir du trou béant et progresse lentement. J'ignore où cela va me mener, mais je continue, plus déterminée que jamais. Qui plus est, je suis à l'abri et au sec. Reprenant quelques secondes mon souffle dans ce tunnel qui paraît interminable, je pense. Et si cet immeuble décidait de s'effondrer à l'instant ? Ma quête du bonheur impossible, mes idées noires, ma souffrance... tout disparaîtrait. Enfin, je connaîtrais la paix...
Soudain, j'entends un bruit effrayant, comme si on frottait deux énormes pierres l'une contre l'autre, et ce son prend une ampleur empirique. S'en suit d'énormes vibrations qui deviennent tremblements ! Les murs bougent, ils se rapprochent, la faille est en train de se refermer ! Je n'ai plus le choix que d'avancer... ou de rester et … attendre la fin. Puis les éclats de voix réapparaissent dans ce vacarme de béton. Je... j'entends mon prénom.. Non, ce n'est pas possible, je dois rêver. Qui peut prononcer mon nom, ici, et maintenant ? Cela n'a aucun sens ! Je dois en savoir plus ! Je décide en une fraction de seconde de reprendre ma course entre les deux énormes blocs de béton qui se referment inexorablement sur moi. Tout va pourtant à une lenteur extrême. Je me démène, je me bats, je cours et j'ai l'impression de rester sur place. Pourtant, au loin, une faible lueur rouge orangé se dessine sur les sombres parois, qui s'accentue au fur et à mesure que j'avance. Puis, soudain, elle devient aveuglante, au point que je suis obligée de tourner la tête tout en remontant mon bras devant mes yeux pour que la lueur intense ne les blesse.... avant de tomber dans le vide....
Je sursaute dans mon lit, yeux grand ouverts, trempée de sueur. Le vent a fait claquer une persienne et ouvert la fenêtre. Un rêve, ce n'était qu'un rêve ! Dans un état semi comateux, j'ai du mal à retrouver la réalité dans un lit dont l'état témoigne de mon combat nocturne. Je m'assois, frotte mes yeux et mon épaisse chevelure noire avant de reprendre mes esprits. Je me lève, je grimace. Ma jambe me fait toujours aussi mal. Impossible de m'éclairer, la lumière fait défaut, ce qui n'a rien de bien surprenant vu l'orage violent qui sévit dehors. Je me dirige alors dans le noir tant bien que mal. Le parquet flottant est trempé. Je boite. Cette foutue jambe ne m'a jamais autant fait souffrir. Je ferme les persiennes et la fenêtre avant de me retourner. Prenant appui machinalement sur ma jambe endolorie, je perds l'équilibre, dérape et glisse avant de chuter lourdement sur le sol.
Quelques secondes me sont nécessaires avant de réaliser ce qui est arrivé et récupérer totalement mes esprits. Je me redresse tant bien que mal sur mes deux jambes, me dirigeant à tâtons dans le noir absolu de l'appartement, vers la salle de bain pour me saisir de serviettes de bain dans le panier à linge avec pour mission d'assécher le sol. Je prendrai soin de moi après et essaierai de me rendormir, sachant pertinemment qu'il n'en sera rien. La nuit est terminée, comme d'habitude.
Je me recouche finalement et j' attrape mollement mon téléphone portable avant de regarder l'heure : 03:48. Je remets l'appareil à sa place et cherche la position la plus confortable possible pour m'endormir. Les yeux ouverts dans l'obscurité, les souvenirs m'assaillent sans répit. Les conseils de Lola vont être difficiles à suivre, ma promesse encore moins facile à tenir. Ramener à cette pharmacienne ses effets demain matin à la première heure est au dessus de mes forces. Je n'ai pas envie de vivre une fois encore ce que va provoquer cette nouvelle rencontre.
04:20. Je me sens prise à nouveau dans le tourbillon infernal de la souffrance et du désespoir. J'ai dormi deux heures, je suis à bout, il me faut dormir. Mais pour cela, je dois mettre un terme à ces idées noires qui continuent de bouffer ma vie, ou ce qu'il en reste.
Le soleil tente d' imposer sa majesté sur une nature saturée d'eau et renforcer la chaleur inhabituelle d'un mois de juin. Les gros nuages noirs et menaçants n'ont pas l'intention de céder, bataillant pour en éteindre les ardeurs et peindre le ciel de leur couleur ténébreuse. Les rues sont bondées. Mais les passants, tête basse et regard fixe, déambulent, feignant de s'intéresser aux innombrables échalas qui courent le long de la rue marchande. A chaque commerçant sa stratégie pour attirer le client, certaines employées allant le chercher à même le trottoir. Je m'interroge souvent sur leurs attributions professionnelles : vendeuses ou péripatéticiennes ? Mais personne ne cède, et continue sa route jusqu'à une destination connue d'eux seuls, probablement à l'abri si l'on en juge par la couleur inquiétante que prend le ciel.
Peu importe où ils se rendent, ce qu'ils ont en tête, je m'en fous royalement, plongée dans mes pensées, à des années lumières de leurs préoccupations et les regarde passer sans vraiment les voir. Qu'est-ce-que je fous ici, à ressasser mes idées noires, à me laisser envahir pas des souvenirs dont je ne veux plus , alors que je cherche à égayer ma journée aussi grise que les murs qui m'entourent, à chasser les cauchemars qui hantent mes nuits ? Même l'ordinateur qui me tient compagnie quand j'attends mes clients, ne suffit pas à rompre mon ennui et encore moins à balayer les réminiscences sombres qui noient mon esprit. Je sais que cela n'est pas une bonne idée car c'est par ce biais qu'une grande partie de la toile de ma vie s'est tissée pour finalement m'y noyer. Ma main caresse la souris, un doigt hésitant suspendu et légèrement tremblant attend l'ordre de cliquer sur un lien en favoris que je n'ai jamais eu le courage de supprimer.
On ne peut pas dire que ma vie soit une source d'épanouissement extrême. Le bonheur, je le touchais du doigt, je venais à peine de l'embrasser lorsqu'un chauffard ivre me l'a volé. Elle s'appelait Irina et je l'avais rencontrée sur cette page du net avant d'aller la retrouver à l'occasion de mes innombrables voyages à Moscou où elle m'attendait. Les mois passant, nous nous sommes liées, rencontrées et aimées jusqu'à ce que la faucheuse décide de briser le bonheur que nous nous étions promis. Quant à moi, ma vie est restée en suspension pendant de nombreuses semaines, dépendante de l'incessant goutte à goutte des perfusions reliées à mon corps réduit en miettes dans le choc de l'accident et forçant mon coeur à continuer de battre, anéanti à l'annonce de sa disparition. Malgré le travail remarquable des chirurgiens et autres plasticiens, je garde néanmoins quelques traces du traumatisme que trahit un claudiquement du membre inférieur gauche.
Un jour de plus sans Elle, sans son sourire ravageur aux fossettes craquantes, ses yeux d'un bleu plus profond que l'abysse où je me noyais volontiers, son doux parfum de vanille dont je m'enivrais, son accent que je tentais en vain de reproduire, ce qui avait le don de la faire rire aux éclats. Dieu que j'aimais son rire, ses yeux pétillants et emplis de malice, sa façon de poser sa main sur sa bouche pulpeuse pour en cacher les éclats de rire très particuliers dans un lieu public, sa façon de se tordre sur sa chaise . Et moi, systématiquement, je lui retirais sa main pour admirer son joli visage en liesse. Elle résistait quelques secondes avant, de s'apercevoir, vaincue, qu'il était trop tard pour se cacher, son rire ayant contaminé tout notre entourage. Avec elle, les journées étaient des petits bouts de bonheur que nous aimions savourer et dont nous ne perdions pas une miette. Chaque petit moment passé avec elle était un ravissement, une étoile de plus que nous accrochions au firmament de notre félicité.
Comme les bons souvenirs entraînent systématiquement les mauvais dans leur sillage, le plus terrifiant de tous, celui là même qui hante mes jours et mes nuits depuis sept ans maintenant, explose violemment dans mon esprit, faisant rouler des perles d'eau salée sur mes joues rougies par la tristesse et le désarroi. Je pensais avoir pleuré toutes les larmes de mon corps mais il semble que le malheur puise dans un réservoir sans fond alors que celui du bonheur s'est depuis longtemps asséché. Mes mains tremblent, cherchant à essuyer le flot à présent incessant qui inonde mon visage. Je dois me ressaisir, des clients entrent dans le restaurant que j'avais acheté pour nous. Irina était tombé amoureuse de cet endroit au moment même où nous y avions posé les pieds. J'avais alors rassemblé toutes mes économies pour nous l'offrir mais elle n'eût guère le temps d'en jouir, la mort ayant anéanti notre bonheur trois mois après notre acquisition.
« Bonjour Monsieur, Dame
- bonjour, on peut encore déjeuner ? Je sais qu'il est très tard mais on vient juste d'arriver ma femme et moi.
- Normalement, on ne sert plus du tout à cette heure ci, mais vous laisseriez-vous tenter par une assiette anglaise ? Réponds-je, me laissant convaincre que leur arrivée balaiera mon chagrin.
- Parfait. C'est exactement ce qu'il nous faut avec un temps pareil.
- Je crois bien qu'on aura de l'orage d'ici ce soir. Je sais que pour vous, ca n'est pas ce qu'il y a de mieux, mais ça ferait un bien fou. Cette chaleur est juste suffocante. »
Et, accompagnant mes clients tardifs à leur table, je fais signe à Lola, la serveuse de garde, de filer en cuisine pour préparer les assiettes anglaises. J'ai du mal à freiner ma peine et c'est avec des trémolos dans la voix que je m'adresse à eux :
« Là, vous serez bien.
- Oui, en effet, quel calme ! C'est toujours ainsi ?
- Non, vous arrivez après le rush du déjeuner. Nous préparons la mise en place pour ce soir.
- Vous êtes ouverts à l'année ?
- Oui. On est dans un coin privilégié ! La montagne pour le ski et les thermes pour les curistes. Sans compter les innombrables possibilités d'évasion qu'offre cet endroit : spéléologie, canyoning, rafting, parapente, randonnée.. bref, les activités ne manquent pas ! Ah oui, j'oubliais la pêche ! Cherche-je à plaisanter.
- Quel type de poisson on a ici ?
-Sandre, truite saumonée, carpe, truite arc en ciel...
- C'est tout à fait ce qu'on nous avait laissé entendre. La pêche est ma passion. On va être bien ici.
Puis sans transition, la femme m'interroge, ses yeux dans les miens :
« Que mettez-vous dans votre assiette anglaise ?
- Jambon cru et blanc, rosette, saucisson, beurre, cornichons, mayonnaise mais nous y mettons aussi du poulet froid, de la salade et quelques crudités. Ah oui, et du fromage. Cela vous convient-il ?
- Parfait !!
- Vous désirez boire un apéritif ?
- Non merci. Il est déjà tard et je doute qu'avec cette chaleur nous le supportions, enfin, moi du moins et toi mon ange ?
- Non, je préfère un verre de bon vin et un grand pichet d'eau.
- Très bien ; Voici la carte des vins. Je vous laisse choisir, le temps de voir où en est la préparation de vos assiettes et je reviens prendre commande. »
L'une des premières règles à respecter en restauration est de ne jamais laisser des clients sur la touche comme je viens de le faire et de les accompagner dans leur choix, à fortiori quand la salle est vide. Mais un nouvel assaut de désarroi me submerge à nouveau et je file à l'office à enjambées rapides. Je n'ai nullement besoin d'aller contrôler le travail de Lola qui connaît son métier sur le bout des ongles mais juste une envie urgente de m'isoler quelques instants pour laisser s'écouler le flot de larmes qui inonde à nouveau mes joues, reprendre mes esprits et calmer les battements à tout rompre de mon coeur.
Cette ville regorge de brasseries et restaurants en tout genre, pourquoi ces deux là ont-ils choisi le mien ? Je devrais me réjouir d'avoir attiré de nouveaux clients dans mon établissement dont la renommée n'est plus à faire mais il n'en est rien. Est-ce mon humeur du jour ou mon esprit qui se liguent à me jouer un sale tour ou est-ce tout simplement la réalité ?
Mes larmes ont stoppé leur course folle, mes joues enfin séchées ont repris une apparence quasi normale. Je penche la tête et aperçois le couple discuter tranquillement à l'autre bout de la salle. J'ai l'impression qu'une éternité s'est écoulée avant de pouvoir à nouveau me présenter à eux de façon correcte. Je déteste devoir affronter les regards interrogateurs face à un visage tourmenté et c'est avec un sourire que je veux le plus naturel du monde que j'arrive à leur table, évitant savamment de croiser le regard de la femme.
« Désolée, je n'ai pas été trop longue ?
- Non non, pas du tout répond la femme.
- Excusez-moi encore.
- Mais il n'y a pas de quoi ! Renchérit-elle. Ca ne fait même pas cinq minutes que vous nous avez laissés.
- Avez-vous fait votre choix ?
- Je prendrais un rosé bien frais. Mais je n'arrive pas à me décider. Que me conseillez-vous ?
- Personnellement, j'ai un petit faible pour le Chinon, domaine de Noiré. Son équilibre en bouche en fait un vin généreux idéal pour un jour comme aujourd'hui.
- Je prends ! Opte l'homme. Et toi chérie ? Tu es décidée ?
- Je me laisse tenter. Je vous fais confiance, me dit-elle en souriant. »
Mon cœur s'emballe à nouveau alors qu'elle me répond et me sourit. Puis je sens un nœud gigantesque qui prend forme au creux de mon ventre. « Tiens bon me dis-je, ça n'est pas le moment de craquer . Garde tes larmes pour plus tard et souris ». Mon sourire doit ressembler à un rictus affreux. Je me suis jurée de ne pas la regarder mais mes yeux ne peuvent se détacher de cette femme absolument superbe, au visage merveilleux et à la plastique parfaite... Ce visage que je ne connais que trop bien provoque dans mon cœur un second ras de marée, une tempête intérieure d'une violence extrême que j'ai du mal à réprimer.
A cet instant, Lola, la serveuse, une femme assez forte au type méditérannéen arrive à la table et dépose les assiettes anglaises avant de repartir aussi discrètement qu'elle est venue, non sans me jeter un regard compatissant. Sa présence me permet de reprendre mon souffle et de rebondir avec des trémolos dans la voix que j'ai du mal à contenir.
« Bon appétit Monsieur Dame !
- Mazette, il y en a pour un régiment ! S'exclame l'homme en ouvrant grand ses yeux comme des billes.
- Jamais je ne pourrai avaler tout ça ! Renchérit sa compagne
- Bien sûr que si !. Et ça passera encore mieux avec le petit Chinon que je vous apporte dans la foulée. »
De mes mains fébriles, je sers dans deux grands verres le précieux nectar qui, je le pensais, m'aurait aidé à noyer mon chagrin après la disparition de Irina, mais rien n'en fût. Ce que je peux retenir de mon incursion dans cet enfer, est que quelle que soit leur nature les soucis savent très bien nager...
Les éclats rosés, aidés par les timides rayons du soleil qui transpercent la baie vitrée, donnent au vin un éclat particulier, divinisant la couleur de sa robe déjà exceptionnelle. Mes deux clients se saisissent de leur verre et admirent sans un mot le précieux liquide avant d'en absorber leur première goulée avec délectation.
La clarté anormale pour un début d'après-midi me pousse à regarder par la baie vitrée. Je vois alors les derniers rayons de soleil perdre leur combat face à la noirceur du ciel.
« Mmmmm, vous avez raison, ce vin est juste divin ! S'exclame l'homme, me faisant presque sursauter.
- Il est juste comme je l'aime s'exclame le sosie d'Irina.
- C'est également mon préféré, j'avoue que c'est un peu pour ça que je vous l'ai conseillé, mais je savais que vous ne seriez pas déçus.
- Ca fait du bien après tous ces kilomètres.
- Vous arrivez d'où ?
- Bretagne. Il pleuvait à torrent quand nous sommes partis ce matin à 4h.
- Je crains que vous n'essuyiez à nouveau les caprices de la météo ici.
- Vous pensez qu'il va pleuvoir ? Interroge la femme
- Les orages sont annoncés en tout cas. Voyez par vous même dehors.. Pas terrible pour un début de vacances !
- Ah mais nous ne venons pas pour les vacances !
- Ah non ?
- On vient s'installer ici !
- Ah bon ?
- Oui, dit tranquillement la femme. Ca fait des années qu'on veut quitter l'endroit mais nous n'en avions pas l'opportunité.
- Oui ! Continue gaiement son mari. Il nous fallait du soleil, revendre notre pharmacie et en trouver une dans le sud. Voilà qui est fait !
- C'est vous qui reprenez la pharmacie Bellance alors !
- Exactement ! Yves et Elsa Voldoyres, ravi de vous connaître.
- Caroline Morreau, moi de même. Me force-je à sourire.
- Nous allons être amenés à nous voir souvent, en effet. Et vous, ça fait longtemps que vous êtes ici ?
- J'ai acheté cette affaire il y a sept ans.
- Les affaires ? Ca marche ?
- Je n'ai pas à me plaindre. J'ai de la concurrence mais ça n'empêche pas les clients d'affluer. On est assez nombreux mais il faut dire que je suis bien placée et mes prix sont attractifs.
- En effet. Votre établissement attire le regard. Il est bien agencé. Et surtout, vous avez un parking, on se casse pas la tête à trouver une place.
- Merci. J'aime que mes clients se sentent ici comme chez eux. Ca n'est pas bien grand mais on s'y sent bien. Et oui, le parking est un gros avantage. Dis-je en souriant. Il y a aussi une tonnelle terrasse où j'ai installé des jeux pour les gosses. Quand les repas perdurent pour les banquets, ils ont de quoi se défouler sans embêter le bon déroulement du service et les parents sont tranquilles. Ils ne peuvent pas sortir, le seul accès direct est la salle du restaurant. Allez, je file et vous laisse manger tranquillement. A plus tard et n'hésitez pas si vous avez besoin de quoi que ce soit. On est là, Lola et moi.
- Merci, c'est gentil. A plus tard »
Un couple bien sympathique, je l'avoue. La cinquantaine, peut-être moins. Lui, un port altier, on ne peut que le remarquer car il est bel homme. Elle... Elle semble être plus jeune que lui et n'a pas le même timbre de voix que Irina. Il est plus rocailleux, plus sensuel que ma belle moscovite.
Cette escapade à l'office m'apporte une bouffée d'air frais et remet de l'ordre dans mes émotions.
« Ca va Caroline ? Me demande Lola en voyant mon visage.
- Oui merci, ça va.
- C'est dingue comme elle lui ressemble.
- C'est saisissant, en effet. J'en ai perdu tous mes moyens.
- Non, je trouve que tu t'en es bien sortie.
- Est-ce que je pouvais prévoir un truc pareil ? Tout vient de remonter à la surface tout d'un coup. Le temps a adouci ma peine mais n'a pas effacé les souvenirs. Et là, ça arrive par vagues successives. J'en ai marre d'être torturée par ces visions de cauchemar, marre de la voir morte dans mes bras... Et cette femme qui se pointe ici !!
- Arrête, tu veux ? Cesse de te torturer, vis dans le présent et regarde devant !
- Je n' y arrive pas ! Tu sais que j'en suis incapable ! Vois où ça nous a amenées toi et moi !!
- C'est moi qui ai échoué.
- Non, tu n'es pas responsable ; Je n'ai jamais accepté sa mort, c'est moi qui n'ai pas su écouter tes conseils et à aller de l'avant. Je suis restée murée dans un passé dont je ne veux plus mais dont je ne parviens pas à me défaire. C'est à moi de faire le travail..
- Et à celle que ton cœur aura choisi. Tu n'étais pas prête et je n'ai pas su le voir. Je me suis comportée comme une égoïste.
- Non, tu l'as fait par amour, tout simplement. Quoi qu'il en soit, notre relation a été un échec et je t'ai fais souffrir. Et ça je ne me le pardonnerai jamais.
- Tu n'as pas à t'en vouloir. Même si je savais dans quoi je m'embarquais, je n'ai pas voulu le voir et j'ai foncé bille en tête..
- Parce que tu m'aimais, c'est tout.
- Peut-être pas assez ou comme tu l'aurais voulu ou comme j'aurais du.
- Serai-je capable d'aimer encore ?
- J'en suis certaine ma belle. Et on ne peut que t'aimer. Tu dois juste le vouloir et surtout, y croire ma chérie.
- Crois tu que ça sera facile ? Cette femme me rappelle tout de Irina. Comment veux-tu que j'oublie ? Elle va vivre ici avec son mari, crois-tu que je vais y arriver avec elle à côté ?
- Tu n'as pas le choix. Il va te falloir prendre le taureau par les cornes une bonne fois pour toutes.
- Tu m'aideras ?
- Bien sûr ! Je veux que tu sois heureuse ma belle. Et je te pousserai au flanc jusqu'à ce que tu y parviennes.
- Tu sais, je regrette que nous deux, ça n'ait pas marché. T'es une nana formidable
- Ca ne devait pas se faire, c'est tout.
- J'ai 43 ans Lola, j'ai l'impression d'en avoir deux fois plus
- Alors, va falloir bouger tes fesses pour que ça change ma belle.
- Et trouver quelqu'un capable de supporter tout ça ou de me supporter tout court !
- Elle est là, quelque part et ça te tombera dessus sans que tu t'y attendes !
- J'en doute..
- Tu verras ce que je te dis ma chérie...
- On verra ! Tiens, remplis la salière de la 9 et rapporte la. Ah, et vois aussi le couple. Ils se sont jetés sur le pain. Il leur en faut peut-être.
- Ok, j'ai pigé, fin de la discussion.
- Fin de la discussion. Allez, go ma belle »
Je retourne sans transition à mes occupations dont le sempiternel contrôle de la caisse de midi – ces deux là passeront sur le compte de ce soir- et la fin de la mise en place du repas du soir. Dehors, le ciel devenant de plus en plus obscur, je me vois contrainte d'éclairer la salle où mes deux clients dégustent leur assiette dans un calme que le premier grondement de tonnerre vient troubler dans un vacarme fracassant, suivi rapidement de grosses bourrasques de vent qu'accompagne une pluie diluvienne. La femme pousse un grand cri de surprise, son mari continue de savourer son plat sans se soucier de l'inquiétude de son épouse, avant de terminer son verre de rosé cul sec et de me faire signe. Comprenant le message, je m'approche de la table du couple et remplis le verre de l'homme. Sa femme, le nez plongée dans son assiette a perdu son sourire et semble terrorisée. Elle l'est encore plus quand le vent fait soudainement claquer la porte du restaurant, suivi d'un éclair aveuglant.
« Ca ne durera pas longtemps, lui dis-je pour la rassurer.
- Elle est morte de trouille à chaque fois ! S'esclaffe son mari. Elles sursaute déjà au moindre pétard, alors pour l'orage, vous pensez..
- Bein c'est assez effrayant, je l'avoue mais..
- Quoi, vous avez peur vous aussi ?
- Non, du tout, j'adore ça !
- Vous devez comprendre que quand mon mari décide quelque chose, tout le monde doit penser comme lui... dit sa femme en demie teinte.
- Ah, ça, c'est bien les mecs ! Dis-je dans un large sourire ! Tous les mêmes ! Y'en a pas un pour remplacer l'autre ! rajoute-je dans le même ton.
- Et bien quoi, c'est vrai ! La femme a suivi l'homme à travers les âges, il en a toujours été ainsi ! Pourquoi cela changerait-il ?
- Et pourquoi vous asseoir sur une institution misogyne créée par des misogynes, dans le seul but d'avilir la femme? Cela vous arrange bien, avouez !!
- Je ne vous le fais pas dire ! Surenchérit sa femme. Non mais quel macho tu fais !! Et vous valez quoi sans les nanas hein ? Que dalle ! Ca se dit le sexe fort, ça me fait juste rire !! A part vos biscottos, je ne vois pas ce qui vous rend supérieurs aux femmes !
- Qui plus est, qui se tape les désagréments de chaque mois, la grossesse, l'accouchement ? Et qui se lève la nuit quand bébé braille ? Qui se tape le repas après une dure journée de labeur pendant que Monsieur lit son journal ou s'installe devant la télé avec une mousse ?!!
- Et qui a un pied dans la tombe dès l'apparition du moindre microbe ??
- Ok, ok, ok, Sourit l'homme, amusé... Mesdames, vous avez gagné, c'est bon ! Je rends les armes.
- Enfin ! S'écrie son épouse.
- Et bien voilà mon ange !! Tu as oublié l'orage, le toit ne s'est pas effondré, ton assiette ne s'est pas envolée, on est entiers !
- Certes mais tu sais que je ne suis jamais entièrement rassurée.. Ah bein tiens... voilà qu'il grêle à présent..
- Stop, ok ? Dis-toi que tu es à l'abri et que rien ne peut nous arriver.
- Je te crois…. »
L'homme prend délicatement la main de sa compagne, les yeux pleins de douceur et la porte à ses lèvres avant d'y déposer un doux baiser.
Je m'éclipse, sur la pointe des pieds et file en direction de l'office où m'attend la dernière pile d'assiettes pour achever ma mise en place et je l'avoue, pour échapper à cet épanchement amoureux qui me met mal à l'aise. Je n'ai pas la force de m'extasier devant leur bonheur qui m'enfonce d'avantage dans ma propre torpeur.
Une heure du matin. Les derniers clients viennent de passer la porte et s'empressent de rejoindre leur voiture garée dans le parking sous une pluie battante qui perdure depuis le début de l'après-midi. Je ferme soigneusement l'entrée de mon restaurant et pars, comme d'habitude éteindre les gros lustres avant de passer à l'office où j'enfile un tablier et commence ma besogne à la plonge pendant que Lola termine de débarrasser les tables avant de balayer, changer les nappes, les surnappes et de commencer la mise en place du lendemain. Seuls les cliquetis des couverts et les légers chocs des assiettes troublent le silence de la salle.
Ma jambe me fait mal ce soir. Elle est un baromètre infaillible qui m'indique que le mauvais temps s'est installé pour plusieurs jours encore. La fatigue et les émotions de la journée rendent la douleur presque insupportable. Je cesse un instant mon activité, le temps d'attraper un flacon de comprimés, un antalgique qui me suit partout depuis sept années mais que je mets un point d'honneur à éviter, ne voulant me rendre dépendante à ce type de drogue. Mais ce soir, je cède à la tentation, j'ai trop mal. Peut-être crois-je encore naïvement que la médication calmera quelques instants mon à l'âme.
Lola arrive de la salle quelques instants plus tard, passe derrière moi et s'empare de l'imposant ballot de nappes et de serviettes avant d'aller le déposer à l'endroit prévu à cet effet en attendant d'être emporté par la camionnette de la blanchisserie de la ville voisine. A ce propos, il faut que je leur téléphone demain à la première heure pour leur signifier mon mécontentement quant à leur dernière livraison dont la netteté d'une partie du contenu laissait quelque peu à désirer. J'estime que payer à prix d'or un forfait qui n'est pas respecté doit être fermement signalé et je ne vais pas m'en priver.
« Ca fait trois fois de rang qu'ils nous rendent notre linge dégueulasse. J'ai rien dit jusqu'à maintenant, mais demain, je leur dis ce que j'en pense.
- Tu aurais déjà du le faire, tues trop gentille.
- Je n'aime pas les situations conflictuelles. Et tu sais que je prends sur moi en tentant de trouver une explication plausible au problème. J'ai pensé à une erreur, ça peut arriver, non ?
- Certes, mais tu as enfin convenu que l'erreur se reproduisait trop souvent !
- C'est bon ! Je téléphone demain je t'ai dit !
- Au fait, j'ai aperçu le couple de ce midi à la pharmacie tout à l'heure en revenant de ma pause, enfin, plutôt entendu.
- Oui, et alors ?
- Il y avait un de ces raffuts !! J'ai eu l'impression qu'ils cassaient tout là-dedans.
- Ca ne me surprend pas ! La pharmacie était aussi vielle que les proprios. Elle a besoin d'un sacré relooking.
- Si c'est le cas, ça va prendre un temps fou cette histoire. Il va falloir aller chercher les médocs de l'autre coté de la ville pendant combien de temps encore ?
- Perso, ça me dérange pas. Tant que je ne les croise pas, tout va bien !
- Et s'ils viennent ici, tu vas faire quoi hein, petite maligne ?
- Tu t'occuperas d'eux, voilà tout !
- Bon sang ma chérie ! Tu as déjà oublié ce que je t'ai dit tout à l'heure !! Tu dois faire face ! Face à elle, à la réalité !
- Je n'aurai pas la force !
- Si tu l'auras ! Si tu le veux ! Tu ne dois plus baisser les bras et te battre !
- Je n'ai plus la force je te dis !
- Ho, elle est où la battante des débuts que j'ai connue ? Elle préfère jouer à l'autruche ? Allez, sors la tête de - ton trou et bouge !
- Plus facile à dire qu'à faire.
- Je sais ça. Tu es forte. Je sais que tu peux le faire et surtout ne me dis pas le contraire. Ca ne marche pas. Ne laisse plus les émotions prendre le dessus et ouvre ton cœur.
- On a vu ce que ça a donné pour nous deux.
- Et bien, recommence ! C'est sur l'échec qu'on avance. C'est toi qui me l'a appris.
- J'aurais mieux fait de la fermer.
- Mais oui, et grâce à qui je suis devenue ce que je suis aujourd'hui hein ? Et grâce à qui encore je suis là pour en parler ?
- Ca n'est pas pareil.
- Mais le principe est le même ! Vouloir et s'accrocher ! Tu veux en finir ou quoi ?
- Parfois, je me dis que ça serait la solution idéale mais je suis trop lâche pour le faire.
- Et tout ce que tu as fait pour arrêter en cours de route ? C'est quoi ce plan ? Non mais ça va pas la tête, faut te soigner !
- Un psy ? Pas question. Je te l'ai déjà dit.
- Mais bon sang, accepte de te faire aider pour aller mieux !
- A quoi bon ? Lui raconter ma vie pour que tout me tenaille encore plus ?
- Ca s'appelle extérioriser. Mieux comprendre sa souffrance pour mieux la maîtriser, la transformer, mieux l'appréhender. Guérir pour mieux recommencer, tourner la page et renaître ! Ce que je n'ai pas réussi moi...
- Tu es arrivée cinq ans après Irina. La douleur était encore très forte, je n'ai pu la surmonter et tu en as fait les frais. Je n'ai pas envie de refaire vivre ça à quelqu'un d'autre.
- Tu n'étais pas prête et moi, pas à la hauteur. Mais ce fut une belle aventure avec toi et s'il fallait recommencer, je le ferais , juste sans commettre les mêmes erreurs. Caro, tu es une chic fille. Tu as un cœur en or. Tu as droit à une autre chance. Tu as le droit d'être heureuse ! Il suffit de le vouloir. Irina n'est plus mais penses-tu qu'elle est heureuse de te voir ainsi ? Je ne pense pas que c'est ce qu'elle aurait voulu.
- Tu as vu le tableau ? Balafrée, boiteuse et en plus sale caractère.
- Et alors ? Irina t'a aimée, je t'ai aimée, pourquoi veux-tu que ça n'arrive plus ? Bon, ça suffit les idées noires,ok !
- Ok, je vais essayer, promis.
- Je préfère entendre ça. Pour commencer, tu passes à la pharmacie demain ramener son gilet à Mme Voldoyres.
- Ah non, pas ça !
- Chérie, tu viens de faire une promesse et tu m'as demandé de t'aider. C'est ce que je suis en train de faire et toi, tu dois tenir ta promesse !
- T'es chiante quand tu t'y mets tu sais !
- Oui, et c'est pas prêt de changer. Je t'ai dit que je te pousserai au flanc et je le ferai. »
2 -
J'entends des coups, quelqu'un se bat. Puis des cris stridents et des éclats de voix. Encore des coups. Curieuse, je m'avance dans la rue, quelque chose me pousse à le faire, comme si ma vie en dépendait. Il faut absolument que je sache d'où vient se vacarme. Des lumières ça et là dans les murs des immeubles se mettent à trouer les ténèbres de la nuit sans lune. Je déambule, avance, pressant le pas, me guidant aux sons de la rixe. J'avance dans le noir, longeant les murs, les cris se rapprochent mais je ne parviens toujours pas au but. La pluie ne cesse de tomber, le vent souffle en bourrasques qui manquent de me déstabiliser à chaque pas. J'avance, passe un coin de rue, mais ne trouve rien. Je m'arrête quelques secondes, reprenant mon souffle. Je suis trempée, la pluie et le vent giflent mon visage mais, déterminée et poussée par une force étrange, je reprends ma course folle contre les éléments. Un éclair zèbre le ciel et dans sa clarté, je réalise que je suis déjà passée par ici. « Je tourne en rond !!Bon sang, j'ai raté un truc ! » Je continue, aveuglée par la pluie qui a redoublé d'intensité. Les éclats de voix aussi. J'arrive presque à l'angle de la rue où je reconnais la cadillac rouge hors d'âge que j'ai aperçue lors de mon premier passage et aperçois une énorme faille dans le mur de l'immeuble. Je ne me souviens pas l'avoir vu tout à l'heure. Comment se fait-il que je ne l'ai pas remarquée auparavant ? Comment ce bâtiment ne s'est-il pas encore effondré avec un tel trou dans les fondations ? Enfin, comment se fait-il que l'on n'est pas évacué les habitants devant un tel danger ?? Tout me semble absurde mais cette absurdité ne m'effraie pas, au contraire, elle pique ma curiosité. Je m'engouffre alors dans le noir du trou béant et progresse lentement. J'ignore où cela va me mener, mais je continue, plus déterminée que jamais. Qui plus est, je suis à l'abri et au sec. Reprenant quelques secondes mon souffle dans ce tunnel qui paraît interminable, je pense. Et si cet immeuble décidait de s'effondrer à l'instant ? Ma quête du bonheur impossible, mes idées noires, ma souffrance... tout disparaîtrait. Enfin, je connaîtrais la paix...
Soudain, j'entends un bruit effrayant, comme si on frottait deux énormes pierres l'une contre l'autre, et ce son prend une ampleur empirique. S'en suit d'énormes vibrations qui deviennent tremblements ! Les murs bougent, ils se rapprochent, la faille est en train de se refermer ! Je n'ai plus le choix que d'avancer... ou de rester et … attendre la fin. Puis les éclats de voix réapparaissent dans ce vacarme de béton. Je... j'entends mon prénom.. Non, ce n'est pas possible, je dois rêver. Qui peut prononcer mon nom, ici, et maintenant ? Cela n'a aucun sens ! Je dois en savoir plus ! Je décide en une fraction de seconde de reprendre ma course entre les deux énormes blocs de béton qui se referment inexorablement sur moi. Tout va pourtant à une lenteur extrême. Je me démène, je me bats, je cours et j'ai l'impression de rester sur place. Pourtant, au loin, une faible lueur rouge orangé se dessine sur les sombres parois, qui s'accentue au fur et à mesure que j'avance. Puis, soudain, elle devient aveuglante, au point que je suis obligée de tourner la tête tout en remontant mon bras devant mes yeux pour que la lueur intense ne les blesse.... avant de tomber dans le vide....
Je sursaute dans mon lit, yeux grand ouverts, trempée de sueur. Le vent a fait claquer une persienne et ouvert la fenêtre. Un rêve, ce n'était qu'un rêve ! Dans un état semi comateux, j'ai du mal à retrouver la réalité dans un lit dont l'état témoigne de mon combat nocturne. Je m'assois, frotte mes yeux et mon épaisse chevelure noire avant de reprendre mes esprits. Je me lève, je grimace. Ma jambe me fait toujours aussi mal. Impossible de m'éclairer, la lumière fait défaut, ce qui n'a rien de bien surprenant vu l'orage violent qui sévit dehors. Je me dirige alors dans le noir tant bien que mal. Le parquet flottant est trempé. Je boite. Cette foutue jambe ne m'a jamais autant fait souffrir. Je ferme les persiennes et la fenêtre avant de me retourner. Prenant appui machinalement sur ma jambe endolorie, je perds l'équilibre, dérape et glisse avant de chuter lourdement sur le sol.
Quelques secondes me sont nécessaires avant de réaliser ce qui est arrivé et récupérer totalement mes esprits. Je me redresse tant bien que mal sur mes deux jambes, me dirigeant à tâtons dans le noir absolu de l'appartement, vers la salle de bain pour me saisir de serviettes de bain dans le panier à linge avec pour mission d'assécher le sol. Je prendrai soin de moi après et essaierai de me rendormir, sachant pertinemment qu'il n'en sera rien. La nuit est terminée, comme d'habitude.
Je me recouche finalement et j' attrape mollement mon téléphone portable avant de regarder l'heure : 03:48. Je remets l'appareil à sa place et cherche la position la plus confortable possible pour m'endormir. Les yeux ouverts dans l'obscurité, les souvenirs m'assaillent sans répit. Les conseils de Lola vont être difficiles à suivre, ma promesse encore moins facile à tenir. Ramener à cette pharmacienne ses effets demain matin à la première heure est au dessus de mes forces. Je n'ai pas envie de vivre une fois encore ce que va provoquer cette nouvelle rencontre.
04:20. Je me sens prise à nouveau dans le tourbillon infernal de la souffrance et du désespoir. J'ai dormi deux heures, je suis à bout, il me faut dormir. Mais pour cela, je dois mettre un terme à ces idées noires qui continuent de bouffer ma vie, ou ce qu'il en reste.
- mielpops
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Re: Irina, mon amour (Roman en cours d'écriture)
Dim 23 Nov - 9:19
Laisser des commentaires est tout simplement un petit signe comme quoi, on n'écrit pas pour rien.. Ici, tout plein écrivent, tout plein lisent mais très peu laissent de commentaire.. Croyez moi, écrire n'est pas facile et nous le faisons avec humilité sans rien en retour... sauf, avoir quelque chose à lire, un commentaire qui nous permette de se dire qu'on n'écrit pas pour rien, un commentaire, bon ou moins bon, mais qui nous permette et nous donne envie de continuer...
- kelysa
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Re: Irina, mon amour (Roman en cours d'écriture)
Dim 23 Nov - 18:29
J'aime beaucoup ta façon d’écrire mielpops , sa parait réelle ton histoire, je trouve qu'au début on peut facilement s'y retrouver dans ton histoire, je ne c'est pas trop comment t'expliquer je préfère parler à l'oral j'ai du mal à expliquer certaine chose à l’écris.
Mais ce qui est sur c'est que tu est faite pour l'écriture, tu à beaucoup d'imagination que tu arrive à exposer à l’écris continue et ne t’arrête pas.
Mais ce qui est sur c'est que tu est faite pour l'écriture, tu à beaucoup d'imagination que tu arrive à exposer à l’écris continue et ne t’arrête pas.
- mielpops
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Re: Irina, mon amour (Roman en cours d'écriture)
Dim 23 Nov - 20:53
kelysa a écrit:J'aime beaucoup ta façon d’écrire mielpops , sa parait réelle ton histoire, je trouve qu'au début on peut facilement s'y retrouver dans ton histoire, je ne c'est pas trop comment t'expliquer je préfère parler à l'oral j'ai du mal à expliquer certaine chose à l’écris.
Mais ce qui est sur c'est que tu est faite pour l'écriture, tu à beaucoup d'imagination que tu arrive à exposer à l’écris continue et ne t’arrête pas.
Merci Kelysa! Ca me fait plaisir que quelqu'un laisse enfin un petit quelque chose.. et non des moindres. Je suis ravie que ce début de roman te plaise et continuerai dans l'espoir qu'il te plaira toujours. En fait, je suis une grosse feignasse... Je suis très longue à écrire.. je prends mon temps pour écrire, cherchant toujours à choisir le mot juste pour mieux vous imprégner de mon histoire.. Ce n'est pas encore parfait, mais je m'y attelle. Ceci dit, mon histoire est dans ma tête mais je n'ai encore rien écrit de plus pour Irina. Je t'invite à lire mes autres récits que j'ai postés ici même.. façon de patienter.. Tu y trouveras des oneshots ( Nuit agitée, Mélodie érotique pour un quatuor, Où es-tu mon amour?, Massage coquin, l'Océan est si beau vu d'en haut), des récits courts (Sex palace, La rencontre, la Prophétie du futur, Sacrée journée, Retour de flammes, Une nuit en Espagne ) et deux romans ( Nuit d'orages et Louise ou la vraie vie ).. de quoi te faire tenir pour lire la suite de "Irina mon amour". Attention, à la lecture de certains, la température risque de monter..
- kelysa
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Re: Irina, mon amour (Roman en cours d'écriture)
Dim 23 Nov - 20:56
Merci mielpop par compte je nais pas facebook alors je peut lire la suite ou ??
- mielpops
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Re: Irina, mon amour (Roman en cours d'écriture)
Dim 23 Nov - 21:00
Je n'ai pas encore écrit de suite à Irina.. Tu trouveras tous mes récits ici, comme je te l'ai expliqué plus haut.. nos messages se sont croisés... Ils sont aussi sur mon forum "Agora" dont tu trouveras le lien dans ma signature.
- kelysa
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Re: Irina, mon amour (Roman en cours d'écriture)
Dim 23 Nov - 21:06
A oui effectivement tu ma répondu au moment ou j'envoyais un message du cou impatience de lire la suite
Merci
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- mielpops
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Re: Irina, mon amour (Roman en cours d'écriture)
Dim 23 Nov - 21:07
De rien, avec plaisir.. il me faut juste l'écrire, cette suite
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